Et si Emmanuel Macron démissionnait ?
Scénario d’une crise institutionnelle majeure
La démission surprise de Sébastien Lecornu n’a pas seulement provoqué une onde de choc politique : elle a aussi rouvert une question taboue sous la Ve République – celle d’une démission présidentielle.
Dans un contexte où le pouvoir exécutif semble paralysé, où l’Assemblée nationale demeure ingouvernable et où la confiance entre le chef de l’État et les forces politiques est à son plus bas, certains observateurs évoquent désormais la possibilité – aussi extrême qu’inédite – d’un retrait anticipé d’Emmanuel Macron.
Un précédent rarissime dans l’histoire politique française
Sous la Ve République, aucun président élu au suffrage universel direct n’a jamais démissionné volontairement. La seule exception reste Charles de Gaulle, qui quitta l’Élysée en 1969 après l’échec de son référendum sur la réforme du Sénat et des régions.
Ce précédent hante aujourd’hui les commentateurs : un chef de l’État affaibli, confronté à une impasse politique, choisissant de partir plutôt que d’endosser la paralysie.
Emmanuel Macron, réélu en 2022 sans majorité claire, gouverne depuis trois ans au prix d’équilibres fragiles. Après les crises successives – retraites, pouvoir d’achat, budget, puis dissolution partielle de fait du gouvernement Lecornu – l’idée d’un départ volontaire, pour provoquer une recomposition complète du paysage politique, n’apparaît plus totalement invraisemblable.
Les conditions constitutionnelles d’une démission
La Constitution française est claire : le président peut remettre sa démission « au Conseil constitutionnel », qui constate alors la vacance du pouvoir. Le président du Sénat assure l’intérim, et une élection présidentielle anticipée doit être organisée dans les vingt à trente-cinq jours.
Cette perspective impliquerait donc une période de forte tension institutionnelle : gouvernement démissionnaire, gestion des affaires courantes, campagne présidentielle express, incertitude économique et financière.
Pour les marchés comme pour les partenaires européens, une telle décision serait un séisme politique. Elle mettrait fin prématurément à un mandat censé durer jusqu’en 2027, et bouleverserait la hiérarchie interne des partis, encore sonnés par la démission du Premier ministre.
Une stratégie du chaos ou un geste de refondation ?
Certains analystes y verraient un acte politique ultime, presque gaullien, visant à redonner la parole aux Français et à sortir d’un blocage institutionnel devenu intenable.
En se retirant, Emmanuel Macron forcerait les forces politiques à clarifier leurs lignes, à construire des coalitions de gouvernement crédibles, et à affronter les réalités d’un pays fragmenté entre plusieurs blocs irréconciliables.
D’autres, plus sceptiques, jugent cette option suicidaire : elle pourrait ouvrir la voie à une victoire des extrêmes ou d’une opposition radicale, et ruinerait l’héritage macroniste avant toute tentative de réconciliation nationale.
Mais pour certains proches de l’Élysée, la logique pourrait être inversée : mieux vaut provoquer la recomposition que la subir.
Les alternatives : transition, cohabitation ou recomposition silencieuse
Avant une démission, le président pourrait tenter une autre voie : nommer un Premier ministre d’union nationale ou un technocrate neutre, chargé d’assurer la stabilité institutionnelle jusqu’à la fin du mandat.
Il pourrait également se résoudre à une cohabitation de fait, en confiant Matignon à une personnalité issue d’un parti d’opposition majoritaire, comme sous Mitterrand ou Chirac.
Mais ces scénarios supposent un accord politique minimal, aujourd’hui difficile à imaginer tant le dialogue entre majorité et opposition est rompu.
L’opinion publique, arbitre inattendu
Depuis plusieurs mois, les enquêtes d’opinion soulignent une érosion du crédit présidentiel. La démission du Premier ministre a accentué la perception d’un épuisement du pouvoir.
Dans ce contexte, un retrait présidentiel pourrait être perçu non pas comme une fuite, mais comme un acte de lucidité et de responsabilité, redonnant à la démocratie son souffle populaire.
Mais l’opinion est versatile : un tel geste pourrait aussi être interprété comme un abandon de ses responsabilités à un moment critique pour la nation.
Entre chaos et renaissance démocratique
Si Emmanuel Macron venait à démissionner, la France entrerait dans une séquence historique sans précédent depuis 1969.
Le choc institutionnel serait immense, mais il pourrait aussi ouvrir la voie à une refondation démocratique : clarification des lignes politiques, recomposition du centre, émergence de nouveaux leaderships.
Tout dépendrait alors du sens que le président donnerait à son geste : une démission comme un renoncement, ou comme un appel au sursaut collectif.
Dans un pays en quête de repères et d’équilibre, ce scénario extrême poserait une question fondamentale : faut-il parfois tout interrompre pour reconstruire autrement ?



