Conseil des ombres à l’Élysée
Quand Macron consulte les fantômes de la Ve République
Politique-fiction : après la démission éclair de Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron convoque ses illustres prédécesseurs pour une nuit de vérité à l’Élysée.
Il est minuit passé de trois minutes.
Le silence règne dans le bureau doré. Emmanuel Macron contemple Paris endormie par la fenêtre du palais présidentiel. Sur son bureau s’empilent les notes des conseillers, les sondages alarmants, les scénarios de crise.
Une seule question le hante : “Que faire, maintenant ?”
Soudain, la lumière vacille. Le temps se fige.
Et dans un souffle venu d’ailleurs, apparaissent, un à un, les anciens présidents de la Ve République.
De Gaulle, Pompidou, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande.
Le “Conseil des ombres” peut commencer.
De Gaulle : l’inflexible
La haute silhouette du Général surgit la première. Sa voix résonne comme une cloche :
— “Monsieur le Président, quand un Premier ministre s’effondre, c’est que la nation chancelle. Gouverner, c’est décider. Dissolvez !”
Macron lève les yeux, calmement :
— “Général, la France de 2025 n’est plus celle de 1962. L’opinion est volatile, les partis sont morcelés, et l’autorité ne se décrète plus.”
— “Alors elle se conquiert !” tonne De Gaulle.
— “À force de ménager tout le monde, on finit par ne plus incarner personne.”
Puis il se tait, droit comme une statue de marbre, laissant derrière lui une ombre longue comme la nostalgie d’un ordre perdu.
Pompidou : l’homme du réel
Une voix plus douce s’élève : celle de Georges Pompidou, cravaté, l’air pensif, une cigarette à la main.
— “Charles a raison sur un point : il faut tenir la barre. Mais la France, voyez-vous, n’a pas besoin de verticalité sans humanité. Elle veut respirer, produire, croire encore au progrès.”
Macron acquiesce :
— “J’essaie de concilier ambition et stabilité, mais l’économie s’essouffle, les classes moyennes doutent, les territoires se sentent oubliés…”
Pompidou sourit :
— “Alors redonnez-leur de la perspective. De la culture, de l’industrie, du concret. Pas seulement des réformes. J’ai connu Mai 68 : on ne calme pas une société inquiète avec des PowerPoint.”
— “Vous aviez aussi vos révoltes, vos grèves.”
— “Oui, mais on savait encore pourquoi on se battait. La France d’aujourd’hui s’agite sans horizon. Redonnez-lui un récit. Pas une leçon.”
Un silence de respect s’installe. L’ancien professeur et le président philosophe se comprennent.
Mitterrand : le sphinx ironique
Dans un coin du salon, une flamme vacille. François Mitterrand s’y dessine, un sourire en coin :
— “Mon cher Emmanuel, vous voilà en quête de sens au milieu du tumulte. Mais l’Histoire ne repasse pas les plats, elle les ressert tièdes.”
— “Vous étiez un homme de synthèse, François. Aujourd’hui, la synthèse semble impossible.”
— “Alors inventez la vôtre. Mais souvenez-vous : on ne gouverne pas sans mystère. L’action politique n’est pas affaire d’algorithme, mais d’âme.”
Il tire sur une cigarette invisible :
— “Et puis, ne cherchez pas à plaire. On ne séduit pas la France, on l’habite.”
Chirac : le populaire désabusé
Jacques Chirac entre, veste ouverte, l’air bonhomme.
— “Ah, mon petit, tout ça c’est bien compliqué ! Lecornu, ça m’fait de la peine, un gars du terrain, solide. Mais enfin, faut pas tout dramatiser. Les Français veulent qu’on s’occupe d’eux, pas qu’on philosophe.”
— “Je le fais, Jacques, mais ils ne l’entendent plus.”
— “C’est normal ! Trop de mots, pas assez de gestes. Va sur le terrain, serre des mains, mange un fromage de chèvre dans un marché. Et surtout, souris. T’as la tête d’un banquier en séminaire.”
Macron éclate de rire malgré lui. Chirac, satisfait, ajoute :
— “Et oublie les chiffres, parle d’amour. La France adore qu’on lui dise qu’on l’aime, même quand elle te déteste.”
Sarkozy : l’impulsion
Nicolas Sarkozy surgit à son tour, nerveux, les bras agités :
— “Bon, on va pas tourner autour du pot. Si t’as plus de majorité, dissous. Si t’as plus de souffle, remanie. Mais faut bouger !”
— “Bouger pour quoi, Nicolas ?”
— “Pour reprendre la main ! La politique, c’est du mouvement, de la passion, pas de la gestion. Tu veux être aimé ? Oublie. Tu veux être respecté ? Fonce !”
Il se penche :
— “Et arrête de tout intellectualiser. Les Français préfèrent les tripes à la théorie.”
Macron sourit, presque attendri par cette fougue intacte.
Hollande : le sceptique lucide
François Hollande, enfin, arrive en dernier, l’air goguenard :
— “Je vois que vous avez réuni tout le monde, mais on ne m’avait pas dit qu’il y aurait De Gaulle… J’espère que c’est pas pour un dîner d’État.”
Rires dans la salle. Puis, plus sérieux :
— “Vous avez un problème de confiance. Les Français n’ont plus peur du chaos. Alors il faut leur prouver que le désordre, c’est pire que vous.”
— “Et comment fait-on ça ?”
— “En restant calme. Et en étant moins certain de tout. Le doute, c’est la politesse du pouvoir.”
L’aube d’un doute
La pendule redémarre. 01h07.
Les ombres s’estompent, laissant derrière elles un parfum d’Histoire et d’ambiguïté.
Macron reste seul, son carnet ouvert : “Autorité. Réalisme. Mystère. Proximité. Mouvement. Doute.”
Six mots. Six présidents.
Une République en quête de septième souffle.
La Ve République, au bord de sa propre légende
Cette fiction dit tout haut ce que la réalité murmure : la Ve République, née d’un chef charismatique, survit aujourd’hui à coups de compromis et de calculs. Chaque président y a laissé son empreinte, autoritaire, réaliste, romantique, populaire, nerveuse ou prudente, sans parvenir à résoudre la contradiction centrale entre verticalité et proximité.
Emmanuel Macron, confronté à la vacance du pouvoir après Lecornu, affronte peut-être ce que redoutaient ses ombres : une République qui ne croit plus à ses héros.
Et si le vrai défi, désormais, était de la réenchanter sans la mythifier ?




