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La stratégie 100 % électrique de Jaguar menacée par les géants de la tech et le Brexit

Les professeurs ManMohan Sodhi et Paolo Aversa de la Business School

Dans un contexte de pandémie mondiale et de départ du Royaume-Uni de l’UE, Jaguar a annoncé, à son tour, le souhait de devenir une marque à 100 % électrique. Bien que cette décision entraîne la fermeture d’une usine de construction automobile dans les West Midlands, elle ne devrait pas entraîner de licenciements forcés, car elle constitue une tentative de repositionnement pour concurrencer des marques comme Bentley et Rolls Royce.

Selon ManMohan Sodhi, professeur de gestion des opérations et de la chaîne d’approvisionnement à la Business School (anciennement Cass Business School) :

« Jaguar devrait être conscient qu’il est trop réactif face à une industrie extrêmement compétitive. Il n’est pas le premier à se lancer dans une telle initiative.

L’annonce de Jaguar est la bienvenue et elle a même fait très légèrement monter le prix de l’action de sa société mère, Tata Motors. Il faut néanmoins souligner que Jaguar se lance dans un marché difficile, où ses processus de fabrication ne sont plus à jour. Les véhicules électriques (VE) ont beaucoup moins de pièces mobiles que les voitures à essence et diesel, et le logiciel qui se cache derrière la technologie des batteries – où Jaguar sera un nouvel acteur – est beaucoup plus complexe.

Cette annonce suit, et ne devance pas, celle d’autres constructeurs comme GM qui a annoncé un calendrier similaire en novembre dernier. Nous ne savons pas vraiment ce que Jaguar peut proposer de diffèrent, si ce n’est ne pas suivre le processus de fabrication déjà existant.

En revanche, la menace qui pèse sur Jaguar et ses pairs ne vient pas directement des constructeurs automobiles, même pas de Tesla. L’inquiétude de ces entreprises automobiles est de savoir si les géants technologiques – tels qu’Apple, Google et d’autres – vont également devenir acteurs du marché mondial des voitures électriques. Cela pourrait se faire en fabriquant des voitures par leurs propres moyens technologiques et en réduisant ainsi les constructeurs automobiles à la fabrication de « boîtes de conserve », tout comme un certain nombre de fabricants internationaux de smartphones fonctionnant sous Android de Google. Mais qui finit par en tirer profit ? Google. Dans un tel contexte, le fabricant le moins cher sort gagnant, et Jaguar n’est pas dans ce cas de figure.

Une approche réactive pourrait ne pas suffire. Jaguar a annoncé qu’ils se penchaient également sur les piles à hydrogène, soit une approche qui donne aux entreprises automobiles une chance de devancer les géants de la technologie.

Il est temps pour Jaguar et ses concurrents automobiles d’élaborer une stratégie face à la puissance des entreprises technologiques. Des mesures réactives ne suffiront pas à enthousiasmer éternellement les investisseurs ».

Selon Paolo Aversa, professeur associé de stratégie à la Business School (anciennement Cass Business School) :

« La volonté de Jaguar de se doter d’une identité de marque unique a donné jusqu’à présent des résultats mitigés, et le passage aux véhicules électriques pourrait être l’étape nécessaire pour sortir de l’ordinaire.

La stratégie de Jaguar est à la fois proactive et réactive. Elle est proactive car Jaguar tente depuis des années de retrouver un positionnement fort sur le marché et une identité de marque distincte, avec des résultats mitigés. Un passage complet au véhicule électrique pourrait offrir une telle opportunité. Elle est également réactive car elle s’aligne sur les récentes politiques gouvernementales britanniques qui visent à passer entièrement aux véhicules électriques dans les années à venir.

Il s’agit d’une stratégie cohérente, car la fabrication des VE augmente parallèlement au développement de l’infrastructure de recharge. Le développement de l’infrastructure est principalement déterminé par les décisions politiques, et il est plus facile d’y parvenir au niveau national. Comme les voitures au Royaume-Uni traversent rarement d’autres pays – en raison de la conduite à gauche – il s’agit d’un écosystème fondamentalement isolé qui pourrait atteindre la pleine adoption des VE de manière plus facile que, par exemple, sur le continent européen.

Suite à cette annonce, plusieurs défis se profilent à l’horizon et il existe trois principales menaces au progrès :

1 De nombreux autres acteurs travaillent intensivement sur le marché des VE depuis longtemps, et sont fortement positionnés sur ce marché de niche. Pour Jaguar, la technologie des VE n’a été jusqu’à présent qu’un projet périphérique, et il n’est pas clair comment Jaguar va combler l’écart avec ses concurrents.

2 Le marché britannique est relativement petit, surtout si l’on considère que Jaguar cible un segment haut de gamme ; les économies d’échelle nécessaires pour rendre cette opération viable exigent une expansion réussie sur les marchés étrangers, qui présentent une concurrence féroce.

3 La production de VE est basée sur des pièces qui ne sont pas entièrement fabriquées au Royaume-Uni, mais qui proviennent généralement d’Europe, ainsi que du Japon et des États-Unis. Avec le Brexit, la chaîne d’approvisionnement serait mise à l’épreuve, ce qui pourrait se refléter dans le coût du produit, et faire grimper les prix déjà élevés des VE à des niveaux inaccessibles aux consommateurs.

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