LE LIEVRE ET LES GRENOUILLES de Jean de La Fontaine

Un Lièvre en son gîte songeait

Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

Les gens de naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux :

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite.

Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers :

Voilà comme je vis : cette crainte maudite

M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.

Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.

Et la peur se corrige-t-elle ?

Je crois même qu’en bonne foi

Les hommes ont peur comme moi.

Ainsi raisonnait notre Lièvre,

Et cependant faisait le guet.

Il était douteux, inquiet ;

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.

Le mélancolique Animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit : ce lui fut un signal

Pour s’enfuir devers sa tanière.

Il s’en alla passer sur le bord d’un Étang :

Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;

Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

Oh ! dit-il, j’en fais faire autant

Qu’on m’en fait faire ! ma présence

Effraie aussi les gens ! je mets l’alarme au camp !

Et d’où me vient cette vaillance?

Comment ! des Animaux qui tremblent devant moi !

Je suis donc un foudre de guerre?

Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,

Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

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