Le dragon à plusieurs têtes et le dragon à plusieurs queues de Jean de La Fontaine

Un Envoyé du Grand Seigneur

Préférait, dit l’Histoire, un jour chez l’Empereur,

Les forces de son Maître à celles de l’Empire.

Un Allemand se mit à dire :

à Notre Prince a des Dépendants

Qui de leur chef sont si puissants

Que chacun d’eux pourrait soudoyer une armée.

Le Chiaoux, homme de sens,

Lui dit : Je sais par renommée

Ce que chaque Électeur peut de monde fournir ;

Et cela me fait souvenir

D’une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.

J’étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer

Les cent têtes d’un Hydre au travers d’une haie :

Mon sang commence à se glacer,

Et je crois qu’à moins on s’effraie.

Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal.

Jamais le corps de l’animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d’ouverture.

Je rêvais à cette aventure,

Quand un autre Dragon, qui n’avait qu’un seul chef,

Et bien plus d’une queue, à passer se présente :

Me voilà saisi derechef

D’étonnement et d’épouvante.

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi ;

Bien ne les empêcha ; l’un fit chemin à l’autre.

Je soutiens qu’il en est ainsi

De votre Empereur et du nôtre.

 

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